La tragédie des grandes écoles

Article rédigé par Monique Dagnaud, sociologue, directrice de recherche au CNRS, auteur de La Teuf, essai sur le désordre des générations, Le Seuil, 2008, et de Martin Hirsch, le parti des pauvres, histoire politique du RSA, Ed de l’Aube, 2009.

Article publié sur www.slate.fr

La France est le seul pays où l’on cite encore ses diplômes lorsqu’on est proche de la retraite. Le parchemin d’une grande école, c’est comme l’anoblissement sous l’ancien régime.

Les grandes écoles ? Et voilà reparti le débat sur la formation des élites françaises. Plus précisément: l’objet des passions et polémiques, ce sont les «très grandes écoles», celles qui sélectionnent environ 5% des élèves d’une génération. Certes, ces établissements d’élite ne garantissent pas à coup sûr un avenir de super chef, on peut avoir réussi Polytechnique ou l’ENA et terminer sa carrière comme chef de bureau d’un obscur ministère. Par contre, parmi les patrons opérationnels du CAC 40 en 2007, 29 avaient accompli ce parcours d’excellence, et, parmi les 11 autres, trois étaient des héritiers pur sucre pour lesquels la formation initiale n’est pas déterminante (Martin Bouygues, Frank Riboud, Patrick Ricard): preuve, s’il en est, du plafond de verre que subissent, dans les entreprises, les cadres souvent fort diplômés mais démunis de ces fameux sésames.

Toute sa vie, l’ancien élève jouira  du prestige d’avoir fréquenté l’ENA, Polytechnique, HEC ou l’Essec. La France est sans doute le seul pays où l’on cite encore ses diplômes même lorsqu’on est blanchi sous le harnais. Bref, ici, un parchemin d’une très grande école, c’est comme l’anoblissement du temps de l’ancien régime: une place dans les allées du pouvoir, et un pedigree flatteur.

Bien entendu cette appartenance à la caste dirigeante n’est pas héréditaire, mais les couches sociales privilégiées ont su s’organiser pour que leurs enfants en soient les premiers bénéficiaires.  Selon une note de 2005 de la Conférence des Grandes écoles (CGE), les enfants de cadres supérieurs et professions intellectuelles représentent 60% des élèves des grandes écoles d’ingénieur et 68% des élèves des grandes écoles de commerce, la progéniture des ouvriers/employés (qui couvrent pourtant la moitié de la population active française) y occupant une place résiduelle de 12% (écoles d’ingénieurs) et de 8% (écoles de commerce).

Le parcours du combattant débute à la maternelle

Ce recrutement est nettement plus élitiste que celui des 3e cycles universitaires (45% d’enfants de milieux favorisés). Le président de la Halde, Louis Schweitzer, parle ainsi d’une «discrimination de fait» et non de droit puisque le recrutement se fonde sur l’excellence scolaire. En réalité, dans ce système de sélection, le capital culturel de la famille d’origine compte davantage que ses ressources économiques, en témoigne la forte surreprésentation des enfants d’enseignants dans le microcosme des grandes écoles.

Ce parcours du (jeune) combattant débute tôt: «le rôle de la maternelle est tout à fait essentiel. A la fin de la maternelle, les différences repérables sont importantes et ne sont pas par la suite compensées par l’école primaire. Elles seraient même plutôt accentuées. Cela se poursuivant au collège» affirme Alain Bouvier membre du Haut Conseil de l’éducation. Autrement dit, l’enfance d’un chef se cultive dès ses premières années. La martingale des enfants des milieux favorisés, c’est cette prime accordée  à la sélection précoce, ce qui revient à potentialiser les atouts culturels du milieu familial.

Les études de comparaison internationale le montrent sans ambages: «La  France se distingue des autres pays par une incidence très forte du milieu social d’origine sur les scores obtenus au PISA et ceci aussi bien en compréhension de l’écrit, en mathématiques qu’en culture scientifique. La France est donc l’un des pays où l’enseignement dispensé à l’école implique, pour être valorisé ou assimilé, la plus grande part de ressources extrascolaire privées, dispensées dans les familles à haut niveau d’instruction. Autrement dit, une partie importante du travail scolaire se passe à la maison» signalent Christian Baudelot et Roger Establet (L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des Idées, 2009).

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