« Orientation scolaire et insertion professionnelle » (étude INRP)

Olivier Meunier, pour le compte de l’Institut National de Recherche Pédagogique, a réalisé une étude complète et très documentée de 71 pages, sur l’orientation scolaire et l’insertion professionnelle.

L’analyse d’Olivier Meunier repose sur les axes suivants :

– L’orientation comme facteur de validation des inégalités socioculturelles
– Les « effets » de contexte dans l’orientation
– Les perceptions des processus d’orientation
– L’insertion sur le marché du travail des générations qui ont quitté le système scolaire en 1998 et en 2001
– Niveau de formation et insertion professionnelle
– Variations des processus d’orientation selon les pays

En conclusion, ce dernier s’interroge quant à une évolution vers de nouvelles modalités d’orientation.

Voici quelques extraits choisis de sa conclusion qui mérite d’être lue dans son intégralité :

En France, la démocratisation du primaire puis du secondaire a contribué au passage d’un système d’enseignement séparé en deux cursus responsable des inégalités sociales (Baudelot & Establet, 1971) à un système unique dont la sélection serait plus « méritocratique » qu’économique (Merle, 2002). La démocratisation de l’accès au baccalauréat et au supérieur a conduit à une élévation du niveau général de formation, mais la diversité des filières, séries et options a favorisé des inégalités sociales d’accès aux différents cursus, notamment avec la filière technologique (BTS, IUT) et les CPGE donnant accès aux « écoles ».
La distinction entre les grandes écoles et l’université est une originalité française. Dans de nombreux pays, il existe des formations professionnelles courtes dans le supérieur en dehors des universités, tandis que les formations les plus prestigieuses sont dispensées par les universités alors qu’elles le sont par les grandes écoles en France, ces dernières recevant les meilleurs élèves et les moyens les plus importants. Le libre accès à l’université est également une singularité française puisque dans la plupart des autres pays, la sélection dans la plus grande partie des filières s’effectue au niveau de l’établissement selon sa capacité d’accueil et parfois en fonction de critères nationaux.
En France, en distinguant l’enfant de l’élève, il semblerait que les instituteurs arrivent mieux que les enseignants du secondaire à préserver l’égalité des enfants face aux inégalités des élèves. Cette voie est privilégiée dans certains pays, notamment scandinaves. Il existe toujours un domaine d’activité dans lequel un élève peut se réaliser, ce qui lui permet d’être valorisé et de ne pas se sentir exclu. Cette dimension éthique, au-delà de l’instruction et de la compétition, permettrait de reconnaître chaque élève dans sa singularité et de le traiter de manière égalitaire, quelles que soient ses performances scolaires, ce qui impliquerait de remplacer le principe d’égalité méritocratique des chances par celui de l’égalité individuelle des chances (Dubet, 2004).
Le système scolaire français a développé par ailleurs l’originalité d’une formation professionnelle dispensée essentiellement dans les établissements scolaires (cela concerne quatre jeunes sur cinq). Dans les autres pays, cette formation professionnelle est effectuée dans les entreprises, mais varie selon l’âge. Aux États-Unis et au Japon, elle commence vers 18 ans après une formation initiale longue. En Allemagne, elle a lieu à la sortie du primaire pour une partie des élèves ou après le premier cycle du secondaire pour les autres, tout en étant organisée et prise en charge conjointement par les entreprises et le système scolaire.
En France, les lycéens et les étudiants sont de plus en plus nombreux à rechercher des « petits boulots » pour se construire une expérience professionnelle et pas uniquement pour des raisons financières. Ils y cherchent des éléments qu’ils ne trouvent pas dans leur vie scolaire ordinaire afin de se confronter à des opportunités leur donnant la possibilité de se construire une place dans le monde réel, de bénéficier ainsi d’expériences formatives (création d’un groupe de musique, volontariat international, activités artistiques, …) qui les préparent à leur vie professionnelle à venir (Baillon, 1994). Faut-il encourager le développement de ces formations informelles sur la vie réelle à côté de la forme scolaire ou faudrait-il ouvrir cette dernière à des savoirs professionnels, sociaux et culturels ? Devant l’élargissement des connaissances et des compétences sociales, les curricula et le découpage disciplinaire des savoirs doivent-ils encore exister dans l’enseignement obligatoire ? Les systèmes scolaires qui ont répondu par la négative présentent des résultats supérieurs à ceux de la France tout en ayant réduit les inégalités (Dubet, 2004, p. 62-63).
Actuellement, toute sortie du système scolaire français est quasi-définitive et les parcours atypiques ne sont guère tolérés. Pourtant, nous avons vu dans d’autres pays comme la Suisse, le Canada ou les pays scandinaves que les réorientations sont possibles, les élèves socialement éloignés de la culture scolaire peuvent partir et revenir à l’école après avoir « goûté » à quelques expériences professionnelles, tandis que les étudiants âgés et ceux qui ont déjà travaillé y sont bien plus nombreux. Cependant, si les pays scandinaves ont réduit les inégalités sociales à l’école, c’est d’une part parce qu’ils disposent d’un système scolaire moins différencié que dans les autres pays, et d’autre part parce qu’il y a eu une volonté de réduire les inégalités dans leur société de manière plus générale (Erikson & Jonsson, 2000). En donnant plus de souplesse aux parcours scolaires, qu’ils soient rapides ou lents, il semble néanmoins que cet assouplissement contribuerait à réduire les inégalités.
L’examen de ces systèmes d’orientation nous conduit à penser qu’accepter des cursus de formation qui ne soient pas linéaires, le droit à la rupture et au changement dans un système éducatif lisible pour tous visant à intégrer et non pas à exclure, permettrait de réduire les inégalités tout en rendant plus performant le système éducatif. Cette orientation semble maintenant admise en France : « … il importe que l’orientation ne soit pas trop précoce ni trop définitive, par exemple en facilitant les changements de parcours pendant la scolarité ; il faut aussi que le diplôme initial ne pèse pas trop lourdement sur l’avenir. La formation tout au long de la vie peut y contribuer, à condition que les moins qualifiés accèdent davantage aux dispositifs de formation continue : elle ne doit pas bénéficier seulement à ceux qui ont le mieux réussi dans la formation intiale » (HCE, 2008)
Cependant, il semblerait que le modèle individualiste de l’orientation puisse conduire à certains effets pervers devant la plénitude de sa réalisation. En effet, en aidant un jeune à déterminer ce qu’il veut être et à le devenir, le « bien commun » ou plus simplement l’« humanité » de chacun pourrait être écarté. La question centrale de l’éducation à l’orientation pourrait alors être : comment permettre à chaque individu de se réaliser pleinement dans le cadre d’une perspective humaniste ? Le cas échéant, l’enfermement identitaire de l’individu pourrait le conduire à rejeter ou à détruire ce qu’il perçoit comme un obstacle à sa pleine réalisation.
Il serait donc profitable et pour l’individu et pour la société d’intégrer dans l’éducation à l’orientation une dimension morale de nature humaniste sans exclure pour autant les formes identitaires particulières (Guichard & Huteau, 2001).
© Service de veille scientifique et technologique – Septembre 2008

Lire l’intégralité de l’étude sur le site de l’INRP



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