Pourquoi les Français sont-ils nuls en langues ?

Nous serions moins bons élèves que nos voisins en apprentissage des langues. Vrai ou faux ? À défaut de réponse tranchée, nous avons des efforts à faire, c’est sûr ! Mais tout est une question de culture… Et de moyens.

Vous avez dit « langue » ou vous avez dit « anglais » ?

Pour Laure Peskine, professeure d’anglais au collège César Lemaître à Vernon (Eure) et Secrétaire Générale de l’APLV*, il faut différencier la pratique des langues en général de l’anglais. Les résultats des Français en langues ne sont pas les résultats des Français en anglais dont on parle le plus souvent. L’anglais est pour un Français l’une des langues les plus difficiles à apprendre, à cause d’un système de sons et d’accents toniques très éloigné du français. L’oreille se ferme très tôt dans l’enfance à certaines sonorités. Donc une oreille pas éduquée ne percevra pas certains sons. Cela ne veut pas dire qu’il faille dès son plus jeune âge apprendre l’anglais ou le chinois (autre langue à sonorités très éloignée du français mais qui risque de devenir incontournable dans l’avenir), mais qu’il est nécessaire d’éduquer l’oreille dès le plus jeune âge. Cela peut se faire par l’apprentissage de la musique. Et non pas d’une langue comme le veut le système français, mais par l’initiation à plusieurs langues, c’est-à-dire à l’écoute par des chansons, des phrases simples et des activités culturelles. L’anglais tend à être la seule langue enseignée dans le primaire par des enseignants peu ou pas formés, qui disent eux-mêmes ne pas être compétents, le système les obligeant à enseigner une langue qu’ils ne parlent pas !

Nous apprenons les langues vivantes depuis peu

Pour François Monnanteuil, doyen du groupe des Langues à l’Inspection générale de l’Education Nationale, l’intérêt de notre société pour l’apprentissage des langues vivantes est assez récent. Il s’est développé depuis les années 50. Avant, l’accent était mis sur les langues anciennes (latin et grec). De plus, le français était historiquement très parlé dans le monde. C’était une langue internationale, dépassée à présent par l’anglais. Nous avons donc une tendance culturelle à ne pas aller vers les autres langues. Quand notre langue n’est pas parlée ailleurs, on est bien obligé d’apprendre d’autres langues ! C’est le cas des Hollandais par exemple, réputés pour être bons en langues… parce que le Néerlandais est peu parlé ailleurs !

Plus de choix de langues pour les élèves

C’est ce que suggère Pierre Frath, professeur de linguistique à l’Université de Reims Champagne – Ardennes. Lorsqu’on est au centre d’un empire, on n’est pas très intéressé par les langues des autres. C’est pourquoi les Anglophones sont encore plus ‘nuls en langues’ que les Français, qui ont conservé le souvenir d’un temps où le monde les regardait et les admirait, comme nous regardons maintenant les États-Unis et leurs productions culturelles à la télévision, au cinéma… Mais apprendre une langue, c’est comme construire une maison : sans fondations, rien ne tient. Il faudrait augmenter l’horaire en langues au collège et au lycée au lieu de le réduire, ainsi que le nombre de langues proposées. Ainsi, un élève qui a raté son anglais en 6e pourrait en apprendre une autre en 5e par exemple, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il réussisse. Et si on apprenait collectivement plus de langues, nous serions plus ouverts sur les autres pays, qui s’intéresseraient alors plus à nous en retour.

*Association des Professeurs de Langues Vivantes

ET AUSSI

Le terme « nul » est inapproprié

Dans le système français, nous avons pour habitude d’évaluer ce qui ne va pas, au lieu de valoriser les savoirs acquis. Un 0/20 de moyenne en langues, c’est tout de même rare. Même un 8/20, note pas terrible, montre que certaines choses ont tout de même été acquises… Pour relever le niveau, peut-être faudrait-il commencer par regarder le verre à moitié plein et non le contraire !

Les professeurs manquent de moyens

Classes surchargées, difficultés à emmener les élèves à l’étranger faute de moyens, impossibilité pour les établissements qui n’ont pas le budget adéquat d’exploiter des documents sonores ou vidéo… Les freins en France sont nombreux. Sans compter le manque incontestable de programmes TV accessibles en version originale sous-titrée (VOST).

Les Français plus souvent dyslexiques !

À l’écrit, le phénomène de la dyslexie ne touche pas toutes les langues de la même façon : il y a plus de dyslexiques en pays anglophones ou francophones qu’en Espagne, en Italie (phénomène inexistant) ou en Allemagne (seulement 5 % de la population contre 10 % en France et 20 % en Angleterre). Pour un Français, l’espagnol, l’italien ou l’allemand sont plus faciles à apprendre que l’anglais car dans ces langues, le lien graphie/phonie est plus facile à établir. Donc les Français vont se dire plus souvent « nuls » en langues si la langue dont il est question est l’anglais.

Le saviez-vous ?

19 langues vivantes étrangères sont enseignées dans le système éducatif français. Dans le second degré, 5,2 millions d’élèves étudient l’anglais, 2 millions l’espagnol, 820 000 l’allemand, 224 000 l’italien, 18 000 le chinois, 14 000 le russe, 13 000 le portugais, 7000 l’hébreu, 7000 l’arabe et 3400 le japonais.

Ailleurs

En Allemagne, les élèves ont plus d’heures de cours. En Suède, la langue est certes plus proche de l’anglais que le français, mais le contexte est également différent : les Suédois ne sont pas hostiles à l’apprentissage d’une langue étrangère, et les films à la télévision sont en VOST*, chose rarissime à la télévision française ou alors sur des chaînes payantes, ce qui les rend plus difficiles d’accès.
*Version Originale Sous-Titrée

Article écrit par Angela Portella (extrait du magazine Imagine ton futur N°23, rubrique « Ping Pong »)



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